La Serra de Sintra est un écrin de verdure venant s’écrouler dans la mer, attirant comme un aimant les nuages blancs et légers qui se déchirent à la cime de ses pins. Géologiquement fort curieuse, cette Serra est un de ces paradis du botaniste où le Portugal se plaît à rassembler en sauvage et précieux bouquet les plantes et les fleurs les plus rares, dont de multiples espèces ne se retrouvent nulle part ailleurs en Europe. Pendant des lieues, au flanc des pentes les plus accidentées, les plus diverses, les plus déconcertantes, dans un chuchotis d’eau vive, la Serra compose et recompose ses paysages. Routes longées de hauts murs que débordent les feuillages des caroubiers, chemins bourdonnant d’insectes, sentiers que l’humidité et la solitude veloutent d’une mousse d’argent, fontaines au bord de la route, de pierre sculptée ou d’azulejos, qui donnent une eau légère et fraîche. La Serra aspire toute l’humidité de la mer et de la vallée, en gorge ses sources, ses fougères, ses pervenches, ses sombres sous-bois et ses gazons clairs.
Perle de cet écrin, c’est Sintra, la ville jadis aimée des rois, avec ses châteaux, palais et villas. Située à quelques heures de carrosse de leur capitale, ils y établissaient leur résidence au cœur de l’été, alors que Lisbonne se faisait pesante en dépit de la fraicheur du soir. Ils y vécurent comme des nababs loin de la Lisbonne désordonnée et inquiète de la fin du 18e siècle. Bientôt, Sintra devint le lieu choisi pour les escapades amoureuses, les sentimentales promenades à dos d’âne, contées avec attendrissement par les poètes et littérateurs romantiques. « Glorieux Eden ! » s’écriait le britannique Lord Byron, qui reçut là l’inspiration de ses plus beaux poèmes. Sintra a la splendeur ingénue et chargée de secrets d’un paradis terrestre. Sur les terrasses, dans les jardins, la mélancolie que donnent les maisons trop belles devient poignante, au long des bassins verdis où se reflètent les orangers en pot, dans le silence parfumé où s’égoutte sempiternellement un mince jet d’eau. Sintra est triste, disaient ceux qui aiment le bruit, l’animation, le monde. Sintra était un refuge, et ceux qui venaient y chercher l’exaltation d’un grand bonheur ou l’apaisement d’une amertume n’étaient jamais déçus.
Sintra est désormais animée presque toute l’année. Classé à l’Unesco depuis 20 ans, les trains de Lisbonne y arrivent combles de mars à novembre, et les ruelles débordent de visiteurs du monde entier. Idéalement s’y rendre en saison plus creuse (mi-novembre à mars), ou alors en semaine plutôt que le week-end. Louer une voiture ou emmener un vélo (pour les sportifs) est le summum pour découvrir la Serra, car dès que l’on quitte la zone touristique, on trouve de belles routes ombrageuses et peu fréquentées qui serpentent à travers la végétation.
Depuis Lisbonne, le moyen le plus commode pour se rendre à Sintra est le train (compter 45 minutes de trajet) : départ toutes les 20 minutes depuis la Gare du Rossio (Baixa). Afin de ne pas perdre de temps, avoir sa carte de transport déjà chargée car il y a régulièrement une longue queue aux guichets de la gare le matin.
Le petit centre historique de Sintra, devenu très artificiel, n’a qu’un intérêt limité. L’endroit vaut pour ses demeures de prestige, qu’il est toutefois impossible de visiter toutes sur une seule journée. En sélectionner 2 ou 3 au maximum, choix difficile car il n’y a que le premier site visité au petit matin où il n’y aura pas encore foule.
Selon sa condition physique et/ou son temps libre, considérer les trois options suivantes :
1. Marche minimale : emprunter le bus touristique 434 (circuit de Pena _ 5.5€/personne ; 1er départ à 9h30 à la sortie de la gare de train). Néanmoins, les routes de la Serra étant étroites, il ne circule que dans un sens, et par forcément le meilleur : Palacio Nacional ; Palacio dos Mouros ; Palacio da Pena. Cela oblige donc à terminer par le site le plus populaire et à suivre le mouvement de foule.
2. Intermédiaire (6kms à pied entre les sites) : emprunter le bus touristique 434 (aller simple pour Pena _ 3€/personne) pour se rendre directement au Palacio da Pena ; cette visite faite, redescendre via le joli parcours pédestre dit Vila Sassetti (moins de 2kms en descente à travers la flore), qui passe de plus par le château des Maures ; une fois sortis de la Vila Sassetti, rejoindre la Quinta da Regaleira (850m) ; cette visite faite, rejoindre le centre historique (moins de 2kms plats) où se trouve le Palacio Nacional ; rejoindre la gare (1km).
3. Bons marcheurs (10kms à pied entre les sites) : arriver à la gare de Sintra à 9h au plus tard (quitter Lisbonne vers 8h) ; rejoindre à pied la Quinta da Regaleira (moins de 2kms en légère montée) pour y entrer les premiers à 9h30 ; après cette 1ère visite, revenir sur ses pas jusqu’à la Villa Sassetti (850m) d’où démarre un chemin pédestre à travers la forêt qui mène au Palacio da Pena (2kms de léger dénivelé) ; après cette 2e visite, emprunter le chemin pédestre de Lapa qui ramène dans le centre historique de Sintra (2kms en descente), le château des Maures se trouvant à mi-chemin ; selon l'envie ou le courage restant, on peut encore visiter le Palacio Nacional ; rejoindre la gare (1km). Cette randonnée à travers le cœur de la Serra en vaut la chandelle et évite tout transport ou attente.
L’excursion à Sintra peut avantageusement se poursuivre par un passage à Cascais.
Le très vieux, fameux et étrange palais des rois de Portugal n’est que mélancolie. Ils le bâtirent pierre à pierre pendant quatre siècles, depuis l'aube du royaume. Plusieurs des plus grands souverains portugais y sont nés et y sont morts, et chaque règne y a laissé sa trace, jusqu’à la fin de la monarchie en 1910. Le palais apparaît touffu et multiple comme une grappe, tous les styles s’y mêlant en une déconcertante harmonie. Les délicates fenêtres géminées du roi Manuel se découpent dans les âpres murailles gothiques du château primitif, et des grottes mauresques se creusent sous des balcons Renaissance. C’est le grand roi João (14e siècle) qui, le premier, aima ce lieu si frais, à une journée à peine de Lisbonne, y fit aménager les vastes cuisines aux énormes cheminées coniques, la chapelle, la salle des pies, avec son plafond à caisson peints de 136 oiseaux répétant sa devise : Por bem.
Un prince consort allemand, cousin de la reine du Royaume-Uni, fit élever ce palais romantique sur l’emplacement d’un vieux couvent du 17e siècle. Le prince était artiste, comme on l’était vers 1840, et voulut un palais où, comme à la vitrine des antiquaires, on put retrouver tous les styles. Le résultat mêle donc les donjons aux minarets, les fenêtres manuélines aux ogives gothiques, les coupoles aux murs de ronde, le tout rehaussé de fantaisies personnelles comme la monstrueuse Porte du Dragon. Il fut aidé dans cette œuvre bizarre par un baron compatriote et ami, qui fit dresser sa statue, géante et en armure, sur un promontoire en face du château : fantaisies sauvées par leur extravagance même et surtout par le cadre grandiose de la Serra et des jardins.
Plus que l’intérieur du palais (bondé en permanence puisqu’il s’agit du monument le plus visité du Portugal), c’est précisément son parc qui selon nous retient l’attention : les parterres bien léchés, les serres, la fontaine aux oiseaux, les fougères arborescentes, le pont japonais, le chalet de la comtesse Edla, seconde épouse du roi de Portugal qui fut danseuse au théâtre national de Lisbonne. Depuis la croix érigée au sommet du parc, la vue est imprenable et l’on voit très loin en mer : tout l’estuaire et un grand morceau de côte jusqu’au cap Espichel. Ainsi, un jour qu’il chassait dans la Serra, le roi Manuel vit la flotte de Vasco de Gama franchir la barre, revenant des Indes pour la seconde fois.
Décrire la Regaleira demeure un exercice délicat tant le sujet dépasse l’entendement du commun des mortels. C’est avant tout le chef d’œuvre de deux hommes singuliers. Le premier, le cerveau, est le Docteur Monteiro, naturaliste féru de papillons et de gastéropodes, millionnaire excentrique et érudit (outre le portugais, il maîtrisait le latin, le grec ancien, le français et l’allemand), héritier d’une fortune familiale bâtie dans le commerce brésilien du café et des pierres précieuses. Le deuxième homme, le réalisateur, est Luigi Manini, architecte italien de renom qui notamment fit une carrière de scénographe à la Scala de Milan. Achevé en 1910, le domaine de la Regaleira est donc le fruit de la réflexion d’un homme ayant atteint sa pleine maturité intellectuelle, d’un talent artistique hors pair, et d’une ressource financière illimitée. Le résultat est à la hauteur de ce qui est difficilement imaginable : la Quinta da Regaleira est une débauche de symboles et de métaphores qui courent à travers l’architecture, la décoration, la nature même, c’est un théâtre mystique, une grande toile de philosophie lusitanienne. Toutes les connaissances du monde y sont conviées : la mythologie, l’alchimie, l’hermétisme, les Classiques, les templiers, l’Ordre du Christ, les Grandes Découvertes. L’architecture évoque le Romantisme, le Gothique, la Renaissance, le Manuélin. Tout est pensé dans le moindre détail, depuis la forme de la propriété au dédale de chemins, en passant par les pavillons multiples et extravagants, les galeries souterraines… Le jardin même recèle une richesse botanique et architecturale grandiose, mêlant camélias, cèdres, ifs, chênes-liège, séquoia, au milieu de sources, de cascades et de grottes baignées d’eau. Parcourir le domaine n’est pas une simple promenade, c’est un voyage initiatique semé d’embûches duquel peu ressortent initiés tant le décodage des lieux est tumultueux. Le Mystère de la Regaleira a suivi le docteur Monteiro jusque dans son fastueux tombeau (cimetière de Prazeres), également dessiné par Manini, et dont la clef de la porte d’entrée est la même que celle qui ouvre la Quinta da Regaleira.
Sintra est une des sept citadelles maures qu’Afonso Henriques reconquit pour les inscrire au blason du jeune Portugal dont il s’était lui-même couronné roi. Il en a renversé les remparts, mais les donjons croulants, les puits de froides ténèbres, les créneaux qui découpent en dents de scie le ciel clair, les rudes murailles rousses à pied sur le rocher, laissent à cet ancien nid d’aigle son caractère farouche. Pour le reste, le château des Maures n’est plus sur sa crête rocheuse qu’une longue muraille qui se tord et se soude comme les tronçons d’un serpent à travers les taillis. De hauts escaliers aux marches défoncées de racines ne mènent à rien qu’à un tourillon délabré percé d’une meurtrière, par où l’on voit s’étaler un immense paysage, aride et plat à l’horizon, dévalant en sombres pinèdes jusqu’à la mer, pâle de soleil dans le lointain.
Domaine de la solitude, les moines franciscains pourraient encore y mener une vie de méditation et de prière tant le site est paisible et parfaitement intégré dans son décor naturel. Il s’agit d’un petit couvent creusé dans la montagne et revêtu de liège, si humble que Philippe 2 d’Espagne, fils aîné et successeur de Charles Quint, disait qu’il comptait dans son double royaume (Castille et Portugal unies) le plus riche et le plus pauvre monastère du monde : l’Escurial et le couvent des Capucins.