Dans la foule des tavernes populaires de Lisbonne, une voix s'élève au-dessus des autres pour nous rappeler « Portugal, come-se bem e barato ! » [on y mange bien et pas cher]. Et pour cause, Lisbonne regorge de « bonnes adresses », l’important n’est donc pas tant de les chercher que d’éviter les mauvaises. Le bon sens et les quelques indices suivants doivent être votre unique guide (se méfier des adresses « dévoilées » au grand jour par les guides papier et autres sites internet) :
▪ les quartiers de la Baixa, de l’Alfama et du Bairro Alto sont devenus si touristiques qu’il devient difficile d’y manger autrement qu’entre touristes (ce qui ne signifie pas pour autant qu’on y mange mal).
▪ la ruse peu honnête des restaurants touristiques repose en partie sur les tarifs prohibitifs des « suppléments » (pain, beurre, olives, pâté de sardine, etc.), facturés bien plus chers que dans un restaurant fréquenté par les portugais. Ne pas se fier aux prix d'appel des plats.
▪ les tarifs locaux sont de l’ordre de 8€ à 15€ par personne tout compris (entrée/soupe + plat + dessert + boisson). Au-delà, vous n’aurez aucun portugais comme voisin de table.
▪ la gastronomie portugaise se caractérise avant tout par sa simplicité et sa fraîcheur. Etant populaire et peu sophistiquée, aucun tarif très supérieur ne se justifie (excepté dans le cas des fruits de mer), d’autant que les plats sont plus ou moins toujours les mêmes (zone touristique ou non).
C’est à la période arabe que la gastronomie portugaise emprunte le plus gros de sa tradition : 400 ans après la reconquête, un livre de cuisine de 1680 témoignait encore que les ¾ des recettes portugaises étaient d'origine mauresque. La fameuse açorda d’Alentejo (pain trempé dans un bouillon à l'huile d'olive) est issue du tharid arabe, les migas (tranches de pain sec à l'ail, à la graisse de mouton ou à l'huile d'olive), la soupe de mouton (viande la plus appréciée par les musulmans), la soupe de pois chiches aux épinards, la soupe aux petit-pois, aux fèves, sont toutes issues de recettes arabes du 8e siècle. Les desserts à base de pois chiches, amandes, noix, et le goût prononcé pour le sucre, sont également de nombreux témoignages de cet héritage.
A tort, on associe strictement le Portugal avec le poisson. Dès après la reconquête, le porc, interdit par le Coran, connut une grande popularité dans les milieux chrétiens. Au nord, la communauté juive, tentera parfois de cacher ses interdits culinaires (porc et fruits de mer) dans des saucisses… de poulet (alheira mirandela). En réaction, pour tester la foi des nouveaux chrétiens fraichement convertis, le porc à l'alentejanaise était une arme redoutable. La pratique de la matança do porco (tuer le cochon), même si désormais interdite, est encore présente dans certains villages de l'intérieur. Le chouriço, les boudins, les côtes, la langue, les oreilles, les pieds... sont tous rassemblés dans le fameux cozido a portugesa, pot-au-feu commun. Le porc est partout présent : dans le traditionnel sandwich bifana (escalope de porc dans du pain), parfois marié aux fruits de mers (palourdes) dans le porc à l'alentejane, jusqu'aux délices plus rares et onéreux comme le porco pata negra [porc noir]. La cuisine portugaise accorde également une place de choix aux viandes tendres : leitão [cochon de lait], cabrito [chevreau], vitela [veau], coelho [lapin], sont très prisés, bien qu’on les trouve peu souvent à Lisbonne.
L’industrie de la sardine portugaise souffre aujourd’hui de leur rareté sur les côtes du Portugal. Passant de 90 000 tonnes en 2010 à 5000 tonnes en 2015, la pêche à la sardine a donc été quasi-suspendue . Elles sont aujourd'hui en partie importées de France ou d'Espagne. Heureusement, les eaux portugaises offrent de nombreuses alternatives : robalo [loup de mer], dourada [dorade], carapau [chinchard], garoupa [mérou], corvina [maigre ou courbine], polvo [poulpe}, chocos [sèches}, etc. L'entrée du Portugal sur les marchés européens a vu l'exportation des meilleurs poissons portugais vers les grands restaurants européens. La moitié du poisson consommé est importé, ce qui est notamment dû au bacalhau [morue ou cabillaud séché}. Il y en aurait autant de recettes que de cuisinières au Portugal et même à l'extérieur : accras de morue à la farine de manioc en Angola et au Brésil, Chutney de morue à Goa en Inde, Bacalhau à Bràs, à Gomes da Sá, com natas, Punheta de bacalhau au Portugal... Afin de préserver une tradition gastronomique séculaire fragile (les eaux territoriales portugaises ne recèlent pas de cabillaud, qui ne vit qu’en eau très froide), la Norvège concède des tarifs préférentiels au Portugal.
Les œufs, et surtout les jaunes d'œuf, sont présents dans la plupart des pâtisseries lisboètes. La tradition voulait que les nonnes amidonnent leurs cornettes avec le blanc d'œuf, les jaunes étant utilisés pour la confection de pâtisseries. Le décret de fin des ordres religieux (1834) laissa les couvents sans autres sources de financement que la vente de pâtisseries. D'où les nombreuses allusions religieuses et « douceurs conventuelles » : pão de Deus [pain de Dieu], cabelo de anjo [cheveux d'ange], barriga das freiras [ventre de nonne], beijo das Freiras [bisous de nonne], pescoço das freiras [cou de nonne], etc.