Si le Portugal embrasse les terres de l'ancienne Lusitanie romaine, peut-on affirmer que le vin coule dans les veines du peuple portugais ? Car la mythologie locale nous enseigne que Lusus, fils de Bacchus le dieu du vin, serait le père de la tribu des Lusitaniens, et donc à l’origine de la fondation du Portugal. Le latin lusus signifiant par ailleurs « jeu, badinage », cette croyance prend tout son sens pour qui tient le Portugal dans son cœur, le vin et le jeu y étant indissociables : n'est-ce pas dans une taverne joviale ou un « club sportif » que l'essence même du chaleureux peuple portugais se révèle à nous ? Ici l'on trinque et l'on boit son petit ballon de vin d’une traite, l'attention toute tournée vers la lucarne lumineuse transmettant le jeu de football, ce qu’on appelle beber de penalty : boire d'émotion, dans l'adrénaline, comme lors d'une séance de tirs au but. Il s’agit alors d’un vin de table bon marché, ce dont les papilles peuvent témoigner. « Quand le vin est mauvais, il doit être bu avec allégresse ! » nous dicte l’expression populaire, qui masque les richesses œnologiques que recèle le terroir portugais.
Le vignoble portugais est à la fois dynamique et atomisé : le 10e mondial par sa superficie, pour près de 300.000 exploitations de petite taille (moins d’un hectare en moyenne). Seule la production de Porto est concentrée entre les mains de quelques maisons. Le pays exporte surtout ses meilleurs vins, en premier lieu vers la France et l’Angleterre, ce qui ne surprend pas quand on sait que les plus prestigieuses maisons vinicoles portugaises appartiennent à des entreprises ou familles de ces pays (Roederer, Axa, Taylor's, Symington, etc.)
La diversité géographique du Portugal, associée à un précieux patrimoine ampélographique (dont certains cépages commencent à être plantés dans le Bordelais à des fins d'adaptation climatique ), dessine un large éventail d’arômes et de saveurs. Parmi les singularités viticoles du Portugal, on peut notamment citer :
▪ le Vinho Verde, originaire du Minho (nord-est), un vin blanc sec et pétillant, dit « vert » car vendangé et embouteillé très tôt ; vin le plus exporté après le Porto.
▪ les vins de la vallée du Douro, de réputation incontournable ; les meilleures vignes sont toutefois destinées aux vins de Porto , mais les autres vins bénéficient d’un très bon rapport qualité/prix.
▪ les vins du Dão, région protégée des vents par les montagnes, et où certains vins rouges peuvent développer une grande complexité avec l'âge.
▪ les sympathiques espumantes, mousseux de la région de Coïmbra, souvent de sortie à l’apéritif.
▪ le Moscatel, vin doux aux saveurs d’amande amère, d’orange, de figue, de noix ; originaire de la région de Setubal, berceau de la vigne lusitanienne.
▪ les vins d’Alentejo, la plus grande région viticole du Portugal, aride et ensoleillée : en découle une teneur en alcool atteignant régulièrement les 14,5°, et des vins très tanniques.
▪ en Algarve, la vigne est malheureusement en voie d'extinction ces dernières années car l'activité touristique (golfs, campings...) a gagné sur les terres cultivées.
Devant une telle diversité, comment choisir ? La sagesse du peuple portugais nous donne un seul conseil : « le vin, l'or et les amis, plus ils ont de l'âge, meilleurs ils sont ».
L’historien ignore qui implanta la tradition viticole au Portugal. Entre les fleuves Tage et Sado, la vigne semble avoir été cultivée par l’une des plus anciennes civilisations de la péninsule ibérique. Quand les phéniciens établirent leurs comptoirs sur les côtes lusitaniennes, ils introduisirent probablement de nouveaux cépages. Des amphores grecques pour diluer le vin et l'eau ont été retrouvées dans une antique nécropole, laissant supposer que les enfants d’Ulysse, fondateur mythique de Lisbonne, emportaient du vin pour célébrer la découverte de terres nouvelles. La vinification s'améliora pendant l'époque romaine afin de satisfaire la demande en direction de Rome. Nécessaire aux rituels religieux, le « sang de Dieu » s'imposera définitivement lors de l'avènement de la Chrétienté, et les wisigoths, moins barbares qu’on ne le pense, adopteront cette boisson digne d’un peuple civilisé. Même sous le joug musulman, période durant laquelle les boissons fermentées sont interdites par le Coran, le vin fait figure d’exception et l’Algarve peut conserver ses vignes. La Reconquista, largement menée par les ordres militaro-religieux, dynamisera l’activité viticole autour des monastères. Celle-ci sera encouragée encore plus efficacement par la première dynastie des rois du Portugal, issue de la maison capétienne de Bourgogne, région de vins s'il en est. Dès le 14e siècle, les anglais pouvaient échanger laine contre vins portugais, et au siècle suivant, on s’essaye déjà à planter des vignes sur l’île de Madère.
L’ère des Grandes Découvertes apporte son lot de défis œnologiques. Avec un relatif succès, on tente d'échanger le vin contre son poids en poivre des Indes. En 1500, la flotte de Cabral accoste au Brésil avec 65.000 litres de vin dans ses cales : une offre séduisante que les jésuites ont sans doute intégrée dans leur stratégie de conversion des futurs peuples lusophones. Au cours des traversées océaniques, les barils sont malmenés des mois durant par le caprice des vents et de la houle, réchauffés par les éprouvantes chaleurs équatoriales, mais le doux nectar ne se détériore pas : au contraire, le vinho de roda, le vin de route, se bonifie en voyageant. Le vin remplace l’eau pour lester les bateaux et rétablir l’équilibre des galions lors des tempêtes. Par appât du gain, la surcharge les navires sera la cause de multiples naufrages, mais le peuple portugais nous rassure : « il y eut plus de noyés dans le vin que dans l'eau ». De retour à Lisbonne, éléphants, rhinocéros, perroquets se serrant au milieu des caisses d’épices, les nefs et caravelles ressemblent davantage à l'arche de Noé, celui-là même qui selon l'Ancien Testament, planta la première vigne du monde.
Début 18e siècle, l’embargo du ministre Colbert sur les vins français oriente définitivement les anglais vers les vins portugais. Afin que la saveur du vin ne s'altère pas pendant le voyage, ces derniers ajoutent de l’eau-de-vie au cours de la fermentation : ils inventent le Porto. Pour préserver sa qualité et sa renommée, le Portugal créera la première appellation d'origine contrôlée du monde , attribuée aux vignes du Douro.
Sombre est le 19e siècle pour la vigne, détruite à l’échelle mondiale par le phylloxéra. Les vignes européennes seront sauvées par leur greffe sur des vignes américaines résistantes au parasite. Une partie des vignes portugaises sera toutefois épargnée, cépages autochtones aujourd’hui constitutifs du rarissime et suave Porto Vintage Noval Nacional .